17nov 05

Quand on vote en scrutin public on pèse les bulletins pour connaitre leur nombre...

Au moment où le débat sur l'état d'urgence commençait au Sénat, j'étais encore en réunion dans le bureau de Laurent Fabius pour une discussion à propos du congrès du Parti Socialiste. Je suis reparti ventre à terre. J'ai manqué l'intervention de Sarkozy mais je suis arrivé à temps pour entendre l'intervention de mon président de groupe Jean-Pierre Bel. Sarkozy qui avait provoqué tout le monde avec ses formules excessives et blessantes ne l'écoutait pas, et parlait ostensiblement à son voisin. Puis j'ai entendu Jack Ralite (PCF) et Gerard Delfau (Radical de gauche) avec un bonheur immense. Sarkozy lui est parti juste après Ralite pour ne pas avoir à entendre l'orateur du groupe centriste. Ambiance. Puis j'ai pris ma part au débat. Je place sur ce blog mes trois interventions. J'y ai mis un titre à chaque fois pour que cela se présente comme c'était dans mon esprit au moment où je parlais. Puis je suis rentré plutôt écoeuré par ce que j'avais vu sur le banc du gouvernement : tant de mépris pour les parlementaires, tant de morgue et de provocations ! Je sens que ces types sont capables de faire la guerre à des gosses de rue. Je vois bien qu'ils provoquent tant et plus. La haine de classe les aveugle.

 

Interventions en séance publique au Sénat le 16 novembre 2005

Une loi inutile

[...] Monsieur le ministre, vous terminez votre propos sur un registre provocateur que nous ne comprenons pas et qui est le vôtre depuis votre entrée dans cet hémicycle puisque vous ne nous avez fait l'honneur que d'une phrase pour répondre au président de notre groupe et que vous avez achevé votre intervention en disant que nous serions passés du stade de la compréhension des actes de violence à celui de leur justification.
Je dirai tout à l'heure ce que je pense de l'effet d'aubaine que représente pour vous cette loi. Mais, auparavant, je ne veux pas laisser dire que l'un quelconque des membres du groupe socialiste aurait fait référence â la Nouvelle-Calédonie parce qu'il mépriserait celle-ci du fait de son peu d'étendue ou de son éloignement. C'est tout le contraire ! 0n se souvient dans cet hémicycle de la ferveur de nos débats sur la Nouvelle-Calédonie et de la position hautement républicaine des protagonistes d'alors, dont plusieurs sont présents aujourd'hui. Il n'y avait donc aucun mépris.
Par contre, si l'état d'urgence a en effet été proclamé, M. Fabius étant Premier ministre, il était destiné à réunir les conditions pour permettre d'éviter une guerre civile dont toutes les prémices semblaient perceptibles. Vous ne prétendrez pas que nous avons la même situation aujourd'hui dans nos banlieues ! Et, lorsque le gouvernement de gauche a quitté les responsabilités, le suivant est passé d'un état d'urgence à un état de guerre ! La troupe a cantonné dans les tribus et on a vu à quels dérapages cela a conduit ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste ainsi que sur les travées du groupe communiste)

Par conséquent, tenons compte de cette expérience : vous l'avez vous-même dit, monsieur le garde des sceaux, le bon critère pour juger une loi est celui de son utilité ou de son inutilité.

En 1955 j'étais enfant ; pied-noir, j'ai entendu déjà tous ces discours sur le rétablissement de l'ordre public accompagnés de mouvements autoritaires du menton. Au bout du compte, ces discours n'ont servi à rien d'autre qu'à aggraver les conditions dans lesquelles nous vivions tous. L'état d'urgence s'est fini comme il finit toujours quand il est appliqué pour museler la misère sociale.

C'est l'égoïsme social qui sépare les Français, qui les jette les uns contre les autres. C'est lui qu'il faut vaincre. La loi sur l'état d'urgence a été inutile pour régler les problèmes en Algérie, elle a été inutile pour régler les problèmes en Nouvelle-Calédonie. Appliquée sur le sol de la métropole, elle est encore inutile, et elle est offensante pour notre patrie, à ses yeux et à ceux de l'étranger.

Nous ne disons rien de plus et rien de moins : cette loi est inutile et provocatrice. Entendez-le et, s'il vous plaît, respectez-nous : nous aimons la France et nos concitoyens au moins autant que vous, et nous n'avons pas de leçon à recevoir a ce sujet! (Vifs applaudissements sur les mêmes travées.)

Dans les banlieues, le peuple est républicain

[...] Je suis un élu de ces banlieues dont on parle tant en ce moment. Je veux donc d'abord apporter un témoignage devant vous et tout spécialement devant les élus des zones rurales.

Il faut dire à tous nos concitoyens que les banlieues ne sont pas seulement ce qu'on en montre. Elles sont, il faut le répéter sans cesse, peuplées de braves gens. Certes, il arrive que tel ou tel de nos enfants prenne un mauvais chemin. Mais personne n'y prend plaisir, et c'est une souffrance pour tous. Qui nous inflige cette souffrance ? Elle ne vient pas de n'importe où mais de l'état social dans lequel se trouve notre société.

Raison de plus pour faire très attention â ce que nous disons dans cet hémicycle. Les misères sociales ne sauraient expliquer a elle seule les actes de délinquance, car, sinon, la délinquance serait permanente et universelle.

La plupart des gens qui connaissent des difficultés se sortent honorablement de leurs devoirs de parents. Quant aux enfants, dans la plupart des cas, ils assument leur devoirs en allant à l'école, en étudiant et en respectant leurs aînés.

Ne l'oublions jamais : nous traitons non pas d'abstractions mais d'êtres humains et de la fabrication de la nouvelle France. Je suis élu d'un département où il n'y a que des immigrés : Corses, Maliens, Auvergnats,…. (Rires sur les travées de l'UMP.) … nous venons de partout et je pourrais citer toutes les autres régions de France ! Nous n'avons pas choisi d'être là, nous y sommes venus, poussés là par la vie, et nous essayons de vivre ensemble et de créer un monde meilleur pour l'avenir de nos enfants. Voilà ce que nous essayons de faire. Ne le perdez jamais de vue.

A partir de là, ce qui doit d'abord être salué c'est la vigueur républicaine de notre peuple. Apprenez à la reconnaître !

Dans nos quartiers, dans nos villes, l'immense majorité de la population, pour ne pas dire l'unanimité, a refusé la guerre ethnique, la guerre raciale, la guerre religieuse, bref tout ces pièges par lesquels on voulait dresser les habitants les uns contre les autres, d'une manière souvent provocatrice. Tout cela a été refusé. Ce qui a été affirmé et répété sur tous les tons, c'est la volonté de vivre ensemble. Il s'agit là d'un bien précieux et fragile sur lequel nous nous devons de veiller en ce moment avec le plus grand soin.

C'est la raison pour laquelle, si nous pouvons parfois vous paraître excessifs dans notre critique, celle-ci est à la mesure de l'angoisse qui nous saisit lorsque nous voyons le cours que prennent les événements. Et quand nos éminents collègues juristes nous disent que le droit commun permet de régler les problèmes d'ordre public qui nous sont posés, alors cet état d'urgence ne peut nous apparaître que comme une espèce de provocation. Comprenez que nous le ressentions de cette manière et que beaucoup l'entendent ainsi ! Surtout quand, dans le même temps, vous déclarez que la situation s'apaise et que pourtant vous proposez de proroger l'état d'urgence pendant trois mois. Trois mois de plus, donc ! Pourquoi ?

Aussi, je suis obligé de vous dire que, à nos yeux, d'un point de vue politique, cette loi n'est rien d'autre qu'une loi d'aubaine. D'une façon générale cette situation vous permet tout et n'importe quoi !

J'ai entendu, au hasard d'une intervention, que l'on avait décidé de restaurer l'apprentissage â quatorze ans. Or cette mesure n'a strictement rien â voir avec les problèmes auxquels nous sommes confrontés et, à maints égards, d'ailleurs, elle va les aggraver, j'en ferai la démonstration lors d'un autre débat.

Cette loi d'aubaine plante en quelque sorte un décor politique : celui ou ceux-la mêmes qui ont créé le désordre en supprimant tous les filets de sécurité viennent se présenter aujourd'hui comme les représentants les plus patentés de l'ordre et du vivre ensemble. Or c'est tout le contraire qui se produit ! C'est ce dont je veux témoigner â travers mon intervention.

Je n'ai pas grand-chose à ajouter : notre peuple est admirable, vous ne l'êtes pas ! Votre recours à l'état d'urgence est une provocation. Vous essayez de transposer, sur un plan qui n'est pas le sien, une situation qui n'est autre que le vieux cri de la misère, le vieux cri de l'oppression et de l'indignation, et vous en faites un problème d'ordre et de sécurité. Or les principaux fauteurs de désordre et d'insécurité, c'est vous et votre politique !(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe communiste)

La France est en état d'urgence politique

La période que nous vivons s'inscrit dans le cadre d'un moment politique beaucoup plus large. Au-delà même de ce texte, notre pays est touché par un état d'urgence global, plus précisément un état d'urgence sociale et politique.
Nous assistons à une évolution dans laquelle tous les curseurs de crise atteignent tous la zone critique. Nous en subissons aujourd'hui le premier avatar violent, qui succède à plusieurs temps forts d'« insurrection civique », marqués par des votes de rejet contre ceux qui souhaitaient imposer une certaine organisation de la société.

Cette conjonction d'une crise sociale et d'une crise politique provoque des explosions imprévisibles, toujours à l'endroit où la société est la plus affaiblie et la plus fragile.

Nous ne faisons donc que commencer à être atteints par cet état d'urgence sociale et politique. Nous souhaitons tous que le calme revienne en banlieue. Mais, si c'est le cas, il ne sera que provisoire, car il restera plein de tempêtes contenues. Votre état d'urgence ne sera pas plus efficace pour régler les problèmes que ne l'a été, en son temps, l'état d'urgence en Algérie ou en Nouvelle-Calédonie.
Ce sera le même échec, avec la même violence : il est donc urgent de ne pas jouer avec les mots, au risque de créer des confusions. Monsieur le garde des sceaux, avec le ministre de l'intérieur, vous n'avez eu de cesse de faire de la provocation, de jeter de l'huile sur le feu. Vous avez continué aujourd'hui, ici même, dans cet hémicycle.

A cet égard, nous savons très bien que les propos tenus tout â l'heure par M. Sarkozy vont, hélas ! se répandre. Puisqu'il a mis en cause les « barbus », il me reste à lui dire que ce n'est pas la barbe qui fait la foi, et qu'il en est des barbus comme des petites personnes : certains sont aimables, d'autres ne le sont pas ; certains ont un c?ur, d'autres n'en ont pas ; certains sont des imbéciles, d'autres ne le sont pas.
D'une manière générale, dans notre pays, aucun attribut physique ne permet de caractériser un groupe que l'on voudrait montrer du doigt.

Nous n'avons pas la même définition de l'ordre républicain. Il faut le dire. Pour ma part, je souffre d'entendre accoler l'adjectif « républicain » à chacune de vos trouvailles sécuritaires.

Pour vous, l'ordre républicain correspond aux mesures que vous êtes en train de prendre. Pour moi, pour les socialistes, l'ordre républicain est celui dans lequel l'égalité est établie, la justice est respectée, le droit et la dignité des personnes sont pris en considération et portés au plus haut niveau. Si vous ne rétablissez pas cet ordre républicain – là, c'est à dire l'ordre de l'égalité sociale, vous aurez sans cesse besoin de recourir à l'état d'urgence pourfaire la guerre au peuple. Vous n'y échapperez pas. Vous mettez vous-même le doigt dans un étrange engrenage.
Tout â l'heure, un orateur a jugé qu'en raison du fait que des voitures qui brûlent dans différentes villes, il y aurait complot. Il en a déduit que cela justifiait d'adopter une loi prolongeant l'état d'urgence. Nous n'avons pas compris quelle menace justifiant l'application de cette loi d'exception planait sur la République.

Mais si vous commencez â considérer que deux points font une ligne, vive l'état d'urgence fiscal permettant de pourchasser les fraudeurs du fisc, nombreux dans notre pays, vive l'état d'urgence contre les belles personnes qui peuvent comploter et nuire à leurs concitoyens sans que vous ne vous en émouviez.
Il y a une crise généralisée â laquelle il faut répondre globalement. Vous pensez qu'une réponse sécuritaire suffit. Si tel était le cas, nous serions muets mais notre expérience historique montre qu'une telle réponse est vaine.
Ce qu'il faut, c'est rétablir l'ordre égalitaire, l'ordre social. C'est cela l'ordre républicain !

(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste)


Aucun commentaire à “L’état d’urgence politique”
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  1. didier dit :

    J'applaudis des deux mains. L'heure est bien triste. Nous sommes dirrigés par des personnes à la petites semaines, on bricole, on bouche des trous financierement, on fait plaisir à ses amis, et ça me fait pas rire du tous.Et comme dirait un certain COLUCHE "tout ça ses avec notre argent"

    UMP : ça veux pas dire " Une Merde de Plus?

    J'ai l'impression!

  2. Florestan dit :

    UMP...

    C'est aussi l'Union Maléfique et Pyromane...


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